"Un air doux et posé, parmi d'autres enfants,
M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans."
L'ÉCOLE DES FEMMES, Arnolphe, Acte I, Scène I
"Tout commence là. Le moment initial, c'est l'amour. Arnolphe a rencontré l'amour pour la première fois ce jour là, il y a treize ans, dans la personne d'une petite fille élue parmi d'autres ; c'est sur ce sentiment inconnu à lui-même jusqu'alors, sur la puissance de cet événement-là, qu'il va construire une architecture, établir des lois, fonder une école.
Le projet d'Arnolphe est un projet personnel. Arnolphe éduque Agnès en dehors du monde pour lui faire accéder à la connaissance. Il aime Agnès comme Dieu aime sa créature, Agnès aime Arnolphe comme une fille aime son père. Horace, c'est l'autre, c'est l'extérieur qui, pénétrant dans cet espace clos, crée des possibles. L'espace s'ouvre et c'est la naissance du désir, d'un amour dont la nature a changé. Arnolphe commence à regarder Agnès non plus comme l'enfant d'un projet utopique, mais comme une femme. Tel est le paradoxe d'Arnolphe : parce qu'il réussit complètement son projet, son projet lui échappe: il ne peut pas être l'homme de cette femme qu'il a créée. Pour que son œuvre se perpétue dans la réalité, il va donner cette femme en mariage à Horace. Agnès devient son vecteur dans le réel. Si Agnès est devenue une femme, Arnolphe, d'un dieu créateur, d'un maître, devient un homme. On assiste à la naissance d'un homme."
ÉRIC VIGNER