Le journal des débats - 1831
JULES JANIN
Il y a de tout dans ces cinq actes ! du rire, des larmes, de la pitié, de la terreur et surtout de l’étonnement à l’aspect d’une conception si hardie. Le seul défaut de cette composition est dans sa variété même. Ce drame est tour à tour ode, dithyrambe, comédie, tragédie, préface ; plus d’une fois vous oubliez que ceci est une action dramatique. C’est la grande lutte d’un grand esprit contre toutes les opinions dramatiques de son pays, lutte intéressante et belle sans contredits...
... la toile se lève, et pendant cinq heures vous assistez moins à un drame qu’à une joute ; le lutteur est jeune, beau, fort, passionné ; il arrive ; il gronde, il grogne, il rêve, il dort, il éclate, il rit, il s’emporte ; tour à tour héros, bouffon, amoureux, philosophe, politique, dissertateur sans fin, comédien haut et bas, au palais du roi et en mauvais lieu, jouant également avec le bourreau et le cardinal, deux hommes rouges ; faisant de l’amour avec la courtisane, moqueur, sceptique, méchant, puis versant de douces larmes, puis amoureux jusqu’aux morsures, peuple et gentilhomme, d’une niaiserie d’enfant, d’une profondeur de cardinal-ministre ; ainsi est fait ce rude jouteur. Le peuple est là qui assiste à ses efforts ; on l’écoute, on le suit du regard, on le suit de l’âme, on l’admire, on le blâme, on le hait, on le trouve grotesque, et bouffon et sublime, tout ce qu’il est ; lui, toujours libre et fier, marche toujours à son but par monts et par vaux, s’arrêtant pour reprendre haleine, faisant le beau ou grimaçant à plaisir, jusqu’à ce qu’enfin envie lui vienne de toucher le but et alors il y est d’un bond.
... Singulier privilège de cet homme qui, à force de mépriser son parterre, à force de violences faites au langage reçu, aux règles consacrées, aux convenances les mieux discutées, à force de grotesque et de bizarre arrive à des succès d’enthousiasme à une époque où l’enthousiasme est mort ; homme puissant qui s’est trompé de siècle, qui s’est fait poète dramatique quand il n’y avait plus ni poésie ni drame, hardi novateur qui, avant d’achever le but qu’il se propose , a tout faire : son théâtre, ses acteurs, son public et jusqu’à la critique appelée à le juger.