Note d’intention · Éric Vigner · REVIENS À TOI (ENCORE)

Note d’intention · Éric Vigner · REVIENS À TOI (ENCORE)
Note d'intention
Note d’intention & entretien
Éric Vigner
1994
Langue: Français
Tous droits réservés

Note d’intention · ÉRIC VIGNER

De façon générale, Gregory Motton s'inscrit dans la lignée d'un Roland Dubillard qui, au-travers de La Maison d'os, rendait compte de façon poétique et drôlatique, de cette situation dans laquelle l'homme patauge en cette fin de millénaire. Personnages abandonnés, mais libres. Abandonnés donc libres de découvrir leur liberté et viser l'utopie.

Verdi disait que décrire la vérité est une chose, l'inventer est de l'art.

Gregory Motton dit à son tour que "pour inventer la vérité, l'artiste doit descendre dans l'inconnu sans limites de l'âme humaine ; résister à l'évident et aller au coeur enfoui des choses où le sens même est rare. Il ne peut pas savoir ce qu'il trouvera, il doit réfréner son jugement, être illogique et obstiné, obscène et injurieux."

Résister à l'évident et réfréner son jugement : voilà qui caractérise l'homme doué d'une vraie sensibilité morale.

Toute affirmation, prise de position, durcissement, n'est pas bon pour le théâtre. J'ai envie d'écrire que le paradoxe est partout au théâtre et que le théâtre est bon quand il est paradoxal.

La magie théâtrale ne se produit qu' "entre" ; c'est dans cet espace insaisissable, entre la réalité et l'imaginaire, dans cette "faille" que se trouve la poésie, l'art, l'essence-même du théâtre.

C'est aussi dans cet entre-deux que le théâtre exalte la poésie qui le convoque.

L'écriture contemporaine de Motton offre une énigme, cette énigme peut-être dont parlait Vitez.

Tout est brouillé : temps passé, temps futur, temps présent. Il n'y a pas d'unité de lieu, detemps,d'action.

C'est un happening !

Et c'est pourquoi il me semble important de le représenter sur la scène d'un théâtre à l'italienne, où tout est code, convention, mémoire lourde et chargée de sens ; il faut le jouer dans ce lieu afin que le texte résonne dans sa plus grande modernité.

Le jouer, mais en marge : rideau de fer baissé ; protégés de la mémoire, les personnages habitent le théâtre, seul endroit peut-être où ils sont en sécurité.

Le théâtre, pas la scène !

D'où l'impossibilité dans laquelle ils sont de se rejoindre, de se toucher par l'histoire qu'ils racontent. Ils sont sur le bord... sur la rampe presque.

Echec retentissant du spectaculaire et de la représentation convenue.

C'est une tragédie : tout est déjà fini quand ça commence ; spectacle émouvant d'un éternel présent dans lequel les personnages "s'évanouissent ". Le présent n'est rien s'il n'est accroché au lendemain.

Abe : "Le futur qui était devant moi est déjà dans le passé sans jamais avoir été dans le présent."

C'est une tragédie qui se déroule sur une mélodie de guitare désaccordée.

Et on rit !

Je veux une grande humilité, une grande douceur, une naïveté d'enfant, une grande innocence dans le jeu.
Antoine Vitez disait que "la tragédie n'est pas un dialogue, mais un récit à un public idéal le coeur."