BAJAZET · Noëlle Guibert
Sixième tragédie de Racine, Bajazet est inspiré d'un sujet « contemporain » pour lequel le poète s'est soigneusement documenté.
Ses sources : le récit du comte de Cézy, ambassadeur de France à Constantinople au moment de la mort de Bajazet, fidèlement rapporté par le chevalier de Nantouillet, ami de Racine, et l'Histoire de l'Empire ottoman de Rycaut, publié en 1670 en version française.
Pour écrire Bajazet, Racine s'est pénétré de l'atmosphère du Sérail, de ce climat lourd de silences et d'intrigues, de secrets et de complots. Les partisans de Corneille lui reprocheront pourtant d'avoir trop francisé ses Turcs. Mais les règles de bienséance du XVIIe siècle imposent cette transposition au profit de l'illusion scénique telle qu'elle est alors perçue. C'est toujours au nom de cette conception convenue de la vraisemblance que le poète peut se permettre de revoir l'histoire, falsification dont se moque, en cornélien abusif, Donneau de Visé dans son article du Mercure galant du 9 janvier 1672.
Racine a lu aussi le recueil de nouvelles de Segrais, publiées en 1656, dont l'une, Floridon ou l'Amour imprudent, reprend le récit du comte de Cézy, mais en déplaçant déjà les motivations de Roxane qui ne cherche plus à protéger Bajazet comme un fils mais comme une amante.
Dans la deuxième préface de Bajazet, écrite pour l'édition de 1676, Racine revient sur un choix justifiable dans une tragédie, dont les personnages doivent être regardés bien différemment de ceux que l'on côtoie chaque jour. Éloignés de mille lieues, ces princes turcs sont aussi lointains que s'ils avaient mille ans. Leur mépris de la vie comme l'exaspération de leurs passions en font bien des personnages de tragédie.
Racine cherche à surprendre et c'est ce qu'il réussit à faire lors de la création de Bajazet à l'Hôtel de Bourgogne le 5 janvier 1672. Le succès est immédiat et se prolonge malgré les critiques du clan cornélien, sur les Turcs trop français, sur le style « galant » de la pièce, écrite sur mesure pour la Champmeslé, selon Madame de Sévigné.
Longtemps l'ambiguïté de la distribution fit hésiter sur le rôle interprété par la Champmeslé, le plus vraisemblablement Atalide, considérée alors comme le premier rôle féminin de la pièce. Adrienne Lecouvreur devait manifester son talent tour à tour dans les deux rôles d'Atalide et de Roxane. C'est Mlle Clairon qui, prenant le rôle de Roxane et accentuant l'étendue de la cruauté du personnage — elle s'en explique dans ses Mémoires —, en fit le principal rôle féminin de la tragédie, comme ensuite Mlle Raucourt et surtout Rachel qui s'y montra magistrale.
Les mises en scène modernes, dont celle de Copeau en 1937, accusent l'orientalisme de la pièce ; Marie Marquet, interprète de Roxane, cherchait à intérioriser son personnage, face à Maurice Escande — Bajazet, Jean Yonnel — Acomat et Véra Korène — Atalide ; Véra Korène sera Roxane lors de la reprise en 1949.
Dans la mise en scène de Jean Marchat en 1957, Thérèse Marney prenait le rôle de Roxane, Annie Ducaux était Atalide, Jean Marchat Acomat, et René Arrieu Bajazet.
Dernière mise en scène en date, celle de Michel Etcheverry en 1966. Thérèse Marney conservait le rôle de Roxane, Bérengère Dautun jouait Atalide, Simon Eine Bajazet, Christine Fersen était Zatime, Alberte Aveline Zaïre, et François Chaumette jouait Acomat.
Bajazet compte 530 représentations à la Comédie-Française depuis 1680, la dernière eut lieu en 1967.