Le théâtre d'art et d'essai
Il faut aujourd'hui parler d'un théâtre d'art et d'essai. Naguère la nouvelle vague et le cinéma d'art et d'essai sont apparus parallèlement. Aujourd'hui le théâtre ainsi estampillé est, lui aussi, porté par une nouvelle vague (qui n'en a, certes pas, l'exclusivité) et un autre réseau.
Il s'oppose à de vieilles barbes et lanternes: la qualité française, les visites guidées du répertoire par des gardiens qui savent trop bien leur texte, le spectacle considéré comme un impeccable paquet cadeau, etc.
Il prône l'incertain, l'impertinence, il risque tout, joue à qui perd gagne. Et gagne.
L'essai c'est le geste dont on ne présume ni de la force ni de la destination, c'est tout ce qui reste de vagues et de bouillons lorsqu'on a lancé un pavé dans la mare, c'est le cher et bel inconnu. L'essai c'est le garde-fou contre toute dérive de rentabilité aux comptoirs de la belle image et du tiroir caisse.
L'essai est noble comme un chevalier relevant un défi, étrange comme une météorite, éphémère comme il se doit. L'essai n'aime pas l'effet. Ni le rabais. L'essai adore tout ce qui tremble, le sombre, l'errant, l'au-delà de la fatigue.
L'essai respecte et aime le public: il ne cache pas son jeu. Ni son enjeu. Il l'embarque de galère en Cythère.
L'essai est constitutif du théâtre vivant ( il existe un théâtre mort).
"Essayons ça" disait tout le temps Vitez à Ivry, au Conservatoire, à Chaillot, à la Comédie Française, partout. L'école est le relais, le préambule, l'amie de l'essai.
Au théâtre, contrairement au rugby, l'essai transforme toujours le cours du jeu. Il est forcément réussi.
Jean-Pierre Thibaudat · Novembre 1994
(Jean-Pierre Thibaudat est grand reporter à "Libération" depuis 1978. Il a été correspondant à Moscou de 1996 à 2000.)