Le projet de la Grande Arche de la défense
Eric Vigner · Barbès, Août 91
...La première fois, c'était en janvier puis en avril dernier. Nous avons monté La Maison d'Os de Roland Dubillard dans une ancienne usine désaffectée d'Issy-les-Moulineaux.
Le sujet de la pièce "...l'agonie d'un vieillard dans sa maison trop vieille isolée du reste du monde, abandonnée par lui comme ses habitants s'abandonnent les uns les autres...". Ce sujet à pris corps dans ce lieu investi pour l'occasion.
Fascinant, magique et ruiné, mais toujours debout, il portait en lui les cicatrices de son activité désormais révolue, tout comme le maître, le vieil homme dont il est question portait en lui son enfance, sa mémoire.
À la décrépitude, la précarité, la mort de cette usine vouée à la démolition , nous opposons aujourd'hui, la solidité, la robustesse, le béton, l'acier et le verre d'un édifice moderne, insolent, emblême du progrès technologique et scientifique de cette fin du vingtième siècle:
LA GRANDE ARCHE DE LA DEFENSE
Cette histoire qui semblait avoir trouvé son lieu idéal de représentation et que nous avons réalisée dans l'urgence et la nécessité à Issy-les-Moulineaux, nous avons choisi aujourd'hui de l'inscrire dans les fondements de ce corps tendu vers le ciel qu'est la Grande Arche de la Défense.
Le théâtre ici naîtra de cette mise en confrontation paradoxale.
Notre projet artistique (esthétique plutôt ) est de toujours travailler à partir de la réalité du lieu investi.
Envisager l'exercice du théâtre à travers cette problématique de l'espace, c'est essayer de définir, de rétablir, ou d'établir un nouveau rapport entre les acteurs et les spectateurs; c'est vouloir s'adresser au corps des spectateurs comme corps intelligent.
Heiner MulleR écrivait quelque part que le théâtre pour lui devait être un dialogue entre les corps et non un dialogue entre les têtes. Tout notre travail tend à mettre en pratique cette petite phrase, dialogue entre les corps des acteurs, mais aussi dialogue des corps des acteurs avec ceux des spectateurs.
Il faut refaire du théâtre une aventure humaine vivante, "conviviale". Pour cela il faut rendre au théâtre sa spécificité originelle qui contrairement au cinéma et à la télévision est d'être une aventure en direct entre gens de chair et d'os, aussi et avant tout.
Encore une fois cela passe pour moi par une compréhension sensuelle, sensitive, sensible de l'espace de représentation qui doit être celui du théâtre tout entier, plus de quatrième mur, de division scène/salle, les acteurs et les spectateurs sont dans le même espace, impliqués physiquement, et le jeu est partout dans l'espace du théâtre, pas seulement devant mais aussi derrière, dessous, dessus, et à côté.
Il n'y a plus de décor, plus de trompe l'œil, la boîte à illusions est démontée. Ce qui est donné, n'est plus donné à voir, ni seulement à entendre, mais est donné à comprendre dans le sens où Jouvet écrivait: "comprendre c'est sentir , éprouver".
Comme dans un environnement de Beuys, le spectateur n'est plus devant l'œuvre, il fait partie intégrante de l'œuvre, elle n'existerait pas sans lui. Il n'y a plus de mise en scène, au sens propre puisque la scène n'est plus le lieu privilégié de la représentation.
Il n'y a plus de metteur en scène, le terme est devenu impropre, il faut trouver autre chose.